Légendes de Saint-Juvin

Les légendes hagiographiques de Saint-Juvin

 
Comme pour tous les saints de cette époque, il n’existe pas une mais des versions.  

Les écrits relatifs à la vie de Saint-Juvin s’étalent sur plusieurs siècles – 1636 à 1908 - la dernière version écrite par Albert Meyrac reprend avec beaucoup d’emphase les écrits de l’abbé Pierquin et fait se rencontrer Saint-Juvin et Saint Oricle (saint patron de Senuc), ce dernier ayant vécu 400 ans plus tôt !

Il ne faut donc pas chercher de cohérence ni de vérité historiques. Chaque récit est orienté en fonction de l’époque et en fonction du message que l’auteur entend passer. Les messages sont répétés avec des variantes pour que la leçon porte. De plus la transmission orale introduit encore d’autres variantes. 

Saint-Juvin serait né en 897 sous le règne de Charles le Simple (au sens de l’époque : honnête, sincère, franc, doux, pur, convivial) Il serait mort à l’âge de 64 ans le 27 septembre selon l’abbé Cerf, et selon l’abbé Bigault, le même mois et la même année que Artaud, archevêque de Reims qui serait décédé le 30 septembre 961.
 
Par sa naissance, Juvin est porcher au service du comte du Dormois. Il est parfois écrit que Juvin était un esclave du comte. Or, l’Eglise condamne déjà l’esclavagisme entre chrétien, les esclaves sont émancipés et deviennent des serfs. Ils s’occupent d’une terre et en échange donne une partie de la production et/ou font des corvées pour le propriétaire qu’il soit civil ou religieux. Seuls les gens d’Eglise ou d’Epée sont libres. Le Dormois-pagus Dulcomensis- n’avait pas encore de délimitations précises mais était très vaste et peu habité. En 843, c’est un territoire situé aux confins de l’archevêché de Reims dans le royaume de France (royaume de Charles le Chauve) et l’évêché de Verdun dans la Lotharingie (Royaume de Lothaire). De 911 à 923, Charles le Simple devient roi de Lotharingie. Le Dormois a été terre de passage.
 
Alors qu’il garde les porcs dans la forêt de la Serre, aujourd’hui forêt d’Argonne, Dieu lui fit voir l’endroit sur lequel il serait inhumé et sur lequel on bâtirait une église. Il y construisit un petit oratoire, sur un coteau aride et couvert de broussaille près de la rivière de l’Aire. Les autres porchers l’accusent de négliger son troupeau. Le comte Marc le fit venir. Il commence par lui reprocher son infidélité. Juvin lui demande alors s’il a déjà perdu des porcs soit par vol, soit par les loups, ni l’un ni l’autre ne s’est produit. Pas satisfaisant de cette réponse, le comte Marc va le voir le lendemain et il ne voit aucun porc. Juvin se met en prière et apparaissent des porcs en si grand nombre que le comte Marc pense que la moitié n’est pas à lui. Pour compléter de convaincre le comte Marc, Juvin plante son bâton en terre lequel eut des feuilles et devient un des plus gros arbres des alentours.

Ces miracles vont convaincre le comte de la sainteté de Juvin et l’amener à se convertir. Il aurait alors ordonné qu’on inscrive sur sa tombe : « Je crois et j’attends la résurrection des morts. Marc qui suis ver et poussière. ». Le comte l’affranchit et lui permet de se consacrer à sa vie d’ermite jusqu’à sa mort qui serait survenue en 961.

Il n’a pas été possible de l’inhumer dans une église, le corps était trop lourd et devient léger dès qu’il est question de l’inhumer dans son oratoire. Il y est finalement inhumé. La comtesse Julie, épouse du comte Marc, était très pieuse, elle aurait fait transformer l’oratoire en église. Elle sollicite l'archevêque de Reims, Adalbéron qui le déclara « bienheureux » en 988.
 
Selon l’abbé Pierquin, un prêtre nommé Alembert aurait appris Juvin enfant à lire dans des livres de la Sainte Ecriture, après avoir perdu père et mère il se serait vendu au comte Marc pour avoir de quoi marier ces 2 sœurs. Il sauve par un jeûne et par ses prières, une jeune paysanne victime d’un intendant qui lui avait donné un filtre. Il est soumis à la tentation par une femme d’une excellente beauté qui marchait sur l’eau. Lors de l’inhumation de Juvin, la rivière arrêtant dans l’instant ses flots impétueux, elle se fendit en deux, ses eaux d’en bas s’écoulèrent vers l’aval pendant que les eaux d’en haut refluèrent et demeurèrent suspendues jusqu’après le passage du cortège. La rivière s’ouvrit de nouveau son sein pour une femme qui n’avait pu arriver assez tôt et qui avait sollicité le ciel et s’était prosternée à genoux. L’inversion des eaux est-elle une survivance de la capture de l’Aire à Saint Juvin au quaternaire, capture qui étendit le bassin de la Seine vers l’est. Autre miracle : invoquer le saint aurait aussi permis une guérison de la maladie de la pierre.

Enfin Albert Meyrac, ajoute notamment que lors du passage du gué, Juvin se serait écrié « Oricle ! Oricle ! Oh que tes sœurs ont de belles cuisses ! » Pour le punir de se laisser aller à ses désirs coupables, Oricle condamna Juvin à garder des cochons toute sa vie. Toujours selon Albert Meyrac qui cite le chanoine Cerf, « le cochon placé au pied d’un saint ou vivant autour d’un saint, signifie dans la mythologie chrétienne qu’il a vaincu les voluptés terrestres. ».
 

La diffusion du culte de Saint-Juvin

 

Dans l’archevêché de Reims

 
Saint-Juvin était représenté sur un vitrail de l’église de Rethel à côté du portrait de l’abbé Robert, curé-archiprêtre né à Saint-Juvin le 20 février 1830. Il a été détruit à la 1ère guerre mondiale et il n’existerait aucune photo de ce vitrail.
 
Plusieurs paroisses le prirent pour saint patron :

-      Loisy-sur-Marne à quelques km de Vitry le François, diocèse de Châlons, où il existe encore une statue en couleurs de Saint-Juvin, statue en bois d’1,17 m, (art populaire).

-      Remonville à quelques km d’ici, commune associée de Tailly depuis 1973, diocèse de Reims, où il existe une statue de Saint-Juvin dans l’église Saint-Juvin.

-      Juvigny prés de Soissons, diocèse de Soissons, où Saint-Juvin est le saint patron.
 
Le bréviaire de Châlons « lui consacra une légende, le 30 octobre, jour des funérailles ». Dans l’église saint Thimothée de Reims, « on chantait une office propre imprimé en 1639 ». Un curé du diocèse de Châlons, natif de Saint-Juvin, «  fonda en 1551, une chapelle » en son honneur dans l’abbaye de Toussaint à Châlons.
 

Origine plus mystérieuse en Lotharingie :

 
Saint-Juvin a une statue à Malancourt-la-Montagne (commune réunie à Amnéville en 1973) dans la Moselle datée de 1550 dans une crypte mérovingienne Ce n’est pas le saint patron de la commune.


Des porcs sont à ses pieds. Un pèlerinage avait lieu le 6 juin pour la protection des porcs jusqu’à la première guerre mondiale avec des pratiques comparables à celles de Saint-Juvin lors du pèlerinage, notamment les pèlerins faisaient bénir du pain pour donner à leurs porcs et le protéger des maladies.

Pour la visite canonique de 1698, ce serait un évêque de Flandres, saint Juvin, mort à Malancourt, inhumé dans la crypte, puis transporté dans une ville d’Allemagne. Cependant deux pistes relient le saint patron de Saint-Juvin et la statue de Malancourt :

-      cette statue pourrait avoir un lien avec Marc Peigne-Porc (Pectens porcos), dernier comte du Dormois qui a vaincu par deux fois les Hongrois/Magyar (armée de Gog et Magog) alliés à Conrad de Lorraine à la fin du Xe siècle, vers 953. La population fuyant devant ces « sauvages » s’est réfugiée dans le château de Julie (épouse du Comte Marc, comte de Dormois). « Selon la légende, rapportée des Ardennes à nos régions, il est dit que le marcaire Juvin, gardiens de porcs, aurait convaincu son maître incrédule, Marc Peigne-Porc, en faisant reverdir sa houlette et en ressuscitant un mort. Les gens de la montagne estimèrent que Saint-Juvin en paradis aurait, par souvenance de son métier, le souci des cochons d’alentours. »

-      la statue représente un personnage chapeauté d’une mitre. Adalbéron le Grand, archevêque de Reims qui a déclaré Saint-Juvin « bienheureux », a été élevé à l’abbaye de Gorze alors sous le contrôle de son oncle Adalbéron 1er, évêque de Metz. Malancourt dépendait de ce monastère.
 
Colette Méchin propose que la présence de ce saint serait porteuse de ce message : « dans cette région d’ancienne polyculture vivrière, il avait paru nécessaire, à une époque pas aussi lointaine que ne le laisse croire le paysage usinier actuel de la région, qu’un saint s’intéressa à la bonne venue de la base alimentaire des repas d’autrefois : le porc. »

 Deux erreurs

Pendant de longs mois un site officiel des Monuments historiques a mentionné que Saint-Juvin est le patron de l’église de Sainte Vaubourg alors que celle-ci est dédiée à Notre-Dame.
 
Contrairement à Gueilliot ou à l’abbé Bigault, nous n’affirmons pas que Domjevin prés de Lunéville tire son nom du saint du Dormois. En effet, on y retrouve un saint dont le nom est proche de celui de Saint-Juvin, Saint-Juvino ou Saint Jovin patron de la paroisse de Domjevin. Ce serait un général romain d’origine gauloise né à Reims en 310, qui combattit en Gaule. Nommé consul en 367, il se convertit et au christianisme et mourut en 370. Un tombeau, sculpté dans un bloc de marbre blanc, est visible au musée archéologique Saint-Rémi à Reims, ce serait un tombeau que Jovin aurait fait sculpter de son vivant, mais depuis 1880, son attribution à Jovin est réfutée.